En cas d’inexécution d’une obligation contractuelle essentielle, quel secours offre la clause de non-responsabilité?

 

Auteurs : Dominic Labbé, avocat

et Frédéric Tremblay, stagiaire en droit

 

Le 15 octobre dernier, la Cour suprême du Canada rendait jugement dans l’affaire 6362222 Canada inc. c. Prelco inc.1 , dans lequel elle confirme la validité, dans certaines situations, des clauses de non-responsabilité en cas de manquement à une obligation essentielle d’un contrat.

 

Les faits

C’est en avril 2008 que 6362222 Canada inc. (« Créatech ») conclut une entente avec Prelco pour l’implantation chez cette dernière d’un système de gestion intégré. Prelco exploite des usines œuvrant dans la fabrication et la transformation de verre plat. Le système recherché a pour objectif d’améliorer le processus de fonctionnement pour le volet du service à la clientèle de Prelco.

Un contrat est négocié entre les parties et prévoit une clause selon laquelle Créatech exclut sa responsabilité quant aux dommages subis par Prelco. De plus, si les dommages subis par Prelco résultent de la déficience du système mis en place par Créatech, la responsabilité de cette dernière est limitée uniquement aux honoraires payés rela-tivement aux services déficients.

Le système connait de nombreux ratés, et Prelco décide de mettre fin à l’entente au printemps 2010 et de confier la suite du mandat à un tiers. Des procédures sont du même coup entreprises, par lesquelles plus de six millions de dollars sont ré-clamés à Créatech.

Les décisions des tribunaux inférieurs

La Cour supérieure du Québec accueille la demande de Prelco et conclut que la clause d’exclusion de responsabilité était inopérante étant donné que Créatech a manqué à une obligation essentielle du contrat. Elle affirme donc qu’une partie ne peut exclure sa responsabilité quant à son défaut dans l’exécution d’une condition essentiel-le du contrat. Elle soutient que ce type de clause ne pourrait trouver application dans une telle situation.

La Cour d’appel du Québec confirmera ultérieurement le raisonnement de la Cour supérieure selon lequel un manquement à une obligation essentielle neutralise la portée des clauses de non-responsabilité.

L’arrêt de la Cour suprême

La Cour suprême infirme unanimement la décision de la Cour d’appel. Le principe de la liberté contractuelle est au cœur de la décision de la Cour, tout comme la preuve à l’effet que les parties ont librement négocié, entre personnes avisées, le contrat de gré à gré contenant la clause de non-responsabilité.

Tout d’abord, la Cour rejette la théorie du manquement à une obligation essentielle dans les contrats de gré à gré entre personnes avisées. Selon cette théorie, une partie ne peut s’exonérer de sa responsabilité pour un manquement contractuel par le biais d’une clause de non-responsabilité lorsque son manquement porte sur une obligation essentielle du contrat. Cette théorie s’applique notamment aux contrats de consommation et d’adhésion, mais ne trouve pas application dans l’ensemble des relations contractuelles, notamment un contrat de gré à gré entre personnes avisées comme en l’espèce.

Effectivement, la clause en litige ne contrevient à aucun principe qualifié d’ordre public auquel il n’est possible de déroger. Selon la Cour, le principe de la liberté contractuelle et l’esprit du Code civil du Québec militent en faveur de la validité de la clause. Comme le contrat a été libre-ment négocié entre les parties, il n’y a pas lieu de limiter la portée de la clause. On doit plutôt donner pleinement effet à l’intention des parties au moment de contracter.

Soulignons que la faute de Créatech n’est pas qualifiée de lourde ou intentionnelle et que le préjudice subi par Prelco n’est pas corporel ni moral. La clause en litige ne contrevient donc pas à l’article 1474 du Code civil du Québec. Dans le cas contraire, la clause aurait pu être déclarée inopérante.

Finalement, la Cour est d’avis que la théorie de l’absence de cause ne trouve pas application dans cette affaire. Il s’agit de la théorie selon laquelle un contrat est invalide du fait qu’il est modulé de manière à ce que l’une des parties se voie dispensée d’exécuter sa prestation pour laquelle l’autre partie a contracté. Dans une telle situation, un déséquilibre important est créé entre les prestations de chacun.

En étudiant la clause en litige, la Cour est d’avis que la cause objective de l’obligation de Créatech existe toujours, soit essentiellement de proposer une méthode d’implantation du système de gestion intégré à Prelco. Ce n’est que la sanction possible en cas d’inexécution de cette obligation qui se trouve limitée par l’effet de la clause de non-responsabilité en litige.

Conclusion

Cet arrêt clarifie l’état du droit en matière de clause exonératrice ou limitative de responsabilité dans le cadre de contrat négocié de gré à gré. La Cour suprême conclut au bien-fondé de ce type de clause dans le cadre de contrat librement négocié entre parties avisées, même en cas de manquement à une obligation essentielle.

Cette décision aura un impact sur les relations contractuelles régies par le droit civil. D’une part, elle illustre l’importance de porter une attention particulière à toute limitation ou exonération de responsabilité dans un contrat, considérant les conséquences importantes de telles clauses. D’autre part, elle réitère l’importance de la liberté contractuelle et de la faculté des parties d’aménager entre elles l’étendue de leurs obligations et responsabilités, dans la limite de l’ordre public.

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[1]     2021 CSC 39.

 

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