Allégation de violation des droits fondamentaux d’un travailleur : qui a compétence?

 

Auteurs : Anne-Sophie Ouellet, avocate

et Virginie Ramsay, stagiaire en droit

 

Le 22 octobre dernier, la Cour suprême du Canada devait se prononcer sur la question de savoir qui, de l’arbitre de grief ou de la Commission des droits de la personne, avait compétence pour trancher un litige portant sur une allégation de discrimination d’une employée syndiquée par son employeur.

Dans cette décision, la Cour suprême vient clarifier la portée de l’arrêt Vavilov[1] , et conclut que, sous réserve d’une intention législative clairement exprimée à l’effet contraire, l’arbitre de grief possède une compétence exclusive pour se prononcer sur une question relative à la convention collective, même lorsqu’il est question des droits fondamentaux.

 

Les faits

Après s’être présentée au travail en état d’ébriété, Mme Horrocks, une employée syndiquée, est suspendue temporairement. Elle sera ensuite congédiée par son employeur, l’Office régional de la santé du Nord (ci-après «ORSN»), car après avoir avoué son problème de dépendance, elle refuse de s’engager à cesser de consommer de l’alcool et de suivre un traitement pour sa dépendance.

Son syndicat dépose alors un grief qui sera réglé au moyen d’une entente prévoyant la réintégration de la plaignante dans son emploi selon des conditions semblables à l’entente refusée antérieurement. Or, peu de temps après, l’ORSN congédie Mme Horrocks, alléguant le non-respect de cette entente.

Historique judiciaire

Suivant son congédiement, la plaignante dépose alors une plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Manitoba pour discrimination sur la base de son état de santé, plainte qui sera instruite par un arbitre nommé en vertu du Code des droits de la personne (ci-après, la « Commission »). L’ORSN conteste la compétence de la Commission, alléguant que l’arbitre de grief détient une compétence exclusive qui s’étend aux plaintes en matière de droits de la personne dans un milieu syndiqué. Cependant, la Commission conclut qu’elle est compétente étant donné que le caractère essentiel du différend porte sur une prétendue violation des droits de la personne, et elle accueille la plainte de discrimination logée contre l’ORSN.

En contrôle judiciaire, la Cour du banc de la reine annule la décision de la Commission sur la question de la compétence et affirme que le congédiement d’un travailleur syndiqué relève exclusivement de l’arbitre de grief, y compris lorsque des violations des droits de la personne sont alléguées. En appel, la Cour renverse cette décision, concluant à la compétence de la Commission en matière de droits de la personne.

L’analyse de la Cour suprême

Saisie du litige, la Cour suprême est appelée à se prononcer sur la question de savoir si la compétence exclusive d’un arbitre de grief nommé en vertu d’une convention collective s’étend aux différends en matière de droits de la personne qui résultent de cette convention.

En s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, la majorité répond par l’affirmative à cette question. Elle conclut que lorsqu’une loi sur les relations de travail comporte des dispositions qui prévoient le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective, l’intention du législateur est de conférer une compétence exclusive aux arbitres du travail ou à toute autre instance de règlement des différends prévue dans la convention collective. Pour la Cour, permettre de subordonner l’effet d’une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends à la nature du tribunal concurrent créerait de l’incertitude chez les membres du public lorsqu’il vient le temps de déterminer à qui s’adresser en vue de régler un litige. Conséquemment, la simple existence d’un tribunal concurrent ne suffit pas pour écarter l’arbitrage en droit du travail en tant que seule juridiction pour les différends résultant d’une convention collective. Il est nécessaire que le législateur exprime concrètement sa volonté de produire une compétence concurrente.

Pour résoudre les questions de compétences entre les arbitres du travail et les tribunaux d’origine législative concurrents, la majorité propose une analyse en deux étapes. La première étape consiste à examiner si la loi confère une compétence exclusive à l’arbitre de grief et, dans l’affirmative, sur quelles questions porte cette compétence. La deuxième étape consiste à établir si le différend relève de cette compétence. Ainsi, la portée de la compétence exclusive d’un arbitre du travail dépendra du libellé précis de la loi, mais englobera généralement tous les différends dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou de la prétendue violation de la convention collective.

Suivant ce cadre juridique, la Cour accueille le pourvoi, concluant que la Commission n’avait pas compétence à l’égard de la plainte pour discrimination.

Conclusion

Cette décision vient clarifier le rôle des différentes instances administratives en matière de relations du travail et de droits fondamentaux. Il sera intéressant de suivre les développements de cette affaire et son application en matière de relations du travail au Québec.

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[1].     Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

 


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