CSSS DE LA VALLÉE DE LA GATINEAU

Auteur:  Me Thierry Bouchard-Vincent, avocat

Thierry Bouchard-Vincent

Référence : Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS Vallée-de-la-Gatineau c. Centre de santé et de services sociaux de la Vallée-de-la-Gatineau, 2019 QCCA 1669 

Le 3 octobre 2019, la Cour d’appel a rejeté le pourvoi du syndicat du CSSS de la Vallée-de-la-Gatineau à l’encontre d’une décision de la Cour supérieure, laquelle avait renversé la décision d’un arbitre qui annulait le congédiement d’une salariée.

Cette décision attendue met fin à une controverse jurisprudentielle qui perdurait depuis 1999, alors que la Cour d’appel, dans l’affaire Bridgestone/Firestone de Joliette, avait établi les principes devant guider l’analyse de la recevabilité de la preuve recueillie par un employeur lors d’une filature en dehors du milieu de travail.

En arbitrage, le décideur était parvenu à la conclusion que l’employeur n’avait pas établi des motifs raisonnables de procéder à la filature. Conséquemment, selon l’arbitre, le rapport de filature avait été obtenu en contravention du droit fondamental à la vie privée de l’employé et était inadmissible en preuve en vertu de l’article 2858 du Code civil du Québec :

[68] Je ne crois pas que le deuxième volet de l’article 2858 C.c.Q. m’autorise à recevoir la preuve à laquelle l’Employeur veut avoir recours. (…) Permettre que soit utilisé, dans la présente affaire, un élément de preuve constitué au mépris du droit de la Plaignante à sa vie privée, alors que j’en suis venu à la conclusion que l’Employeur n’avait même pas un motif raisonnable pour entreprendre une filature, banaliserait l’atteinte à un droit fondamental et laisserait entendre qu’une preuve autrement inadmissible le deviendrait simplement parce qu’elle confirme possiblement, a posteriori, un soupçon ou une impression. (…)1

Les motifs de l’arbitre n’apportaient par ailleurs aucune précision en ce qui concerne le risque de déconsidérer l’administration de la justice en admettant la preuve de filature, tel que l’exige l’article 2858 C.c.Q..

Or, de l’avis de la Cour d’appel, une telle omission constitue une erreur qui vicie la sentence arbitrale, et ce, malgré la déférence due envers les arbitres de griefs :

[82] Comme le prévoit l’article 2858 C.c.Q., pour déterminer si un élément de preuve doit être rejeté lorsque les droits fondamentaux sont en jeu, l’analyse est en deux temps : il faut d’abord décider s’il a été « obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux / obtained under such circumstances that fundamental rights and freedoms are violated », puis, si son « utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice / use would tend to bring the administration of justice into disrepute ».

[83] Ce n’est pas un choix : le décideur doit impérativement conclure que les deux critères de l’article sont satisfaits (…) Un décideur qui passe outre à cette exigence et qui ne procède qu’à l’une ou l’autre des deux facettes de l’analyse ne respecte pas une règle impérative et sa décision ne peut être qualifiée de raisonnable.2

Ainsi, même si une preuve a été obtenue par l’employeur dans des conditions qui violent le droit à la vie privée de l’employée, encore faut-il, pour l’écarter, démontrer que son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

La Cour d’appel reproche donc à l’arbitre de grief d’adopter un raisonnement circulaire selon lequel le seul fait qu’une preuve de filature ait été recueillie sans motifs raisonnables rend son utilisation susceptible de déconsidérer la justice. En conséquence, sans autre analyse, l’arbitre ne se croirait pas autorisé à admettre la preuve.

[100] L’analyse décrite dans le paragraphe 68 est contraire à la règle de droit (art. 2858 C.c.Q.). L’arbitre limite son examen au premier volet de l’analyse, sans aborder de quelque manière le second. En d’autres termes, selon lui, dès que les droits fondamentaux sont enfreints, l’élément de preuve doit être exclu. Ce n’est pas l’état du droit, et ce n’est pas parce que d’autres arbitres auraient conclu de la sorte que la décision devient pour autant raisonnable.3

En conclusion, l’arrêt précise que les décideurs appelés à écarter un élément de preuve en vertu de l’article 2858 C.c.Q. doivent appliquer un test de proportionnalité, lequel tient compte de la gravité de la violation aux droits fondamentaux, tant en raison de sa nature, de son objet, de la motivation et de l’intérêt juridique de l’auteur de la contravention que des modalités de sa réalisation. La Cour d’appel souligne qu’au terme de ce test, la recherche de la vérité doit l’emporter si les circonstances ne sont ni suffisamment graves ni suffisamment exceptionnelles pour que l’on déroge à la règle voulant que toute preuve pertinente soit en principe recevable (art. 2757 C.c.Q.).4

Cliquez ici pour lire la décision en entier.

______________________________________

  1. CSSS de la Vallée-de-la-Gatineau c. STT du CSSS Vallée de la Gatineau (CSN), 2013 CanLII 9074 (T.A.), par. 68
  2. Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS Vallée-de-la-Gatineau (CSN) c. Centre de santé et de services sociaux de la Vallée-de-la-Gatineau, 2019 QCCA 1669, par. 82-83
  3. Id., par. 100
  4. Id., par. 102

 

N’hésitez pas à communiquer avec les membres de notre secteur Droit du travail pour toute question relative à cet article.