La Cour d’appel se prononce : l’obligation de loyauté n’empêche pas la concurrence

Auteures : Anne-Sophie Ouellet, avocate

Patricia Turcotte, avocate

 

La Cour d’appel s’est récemment prononcée sur l’étendue de l’obligation de loyauté contractuelle et postcontractuelle d’un employé à l’égard de son ancien employeur, plus particulièrement en matière de concurrence, dans l’affaire Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus).

Les faits

Monsieur Sahlaoui avait été à l’emploi de son ancien employeur, une clinique spécialisée en matière d’appareils orthopédiques et d’équipements médicaux, pendant 10 ans. Il avait soigneusement préparé sa démission en démarrant, quelques jours après la fin de son emploi, une entreprise offrant les mêmes services que son ancien employeur. Puisque monsieur Sahlaoui entretenait de bonnes relations avec les clients de son ancienne clinique, certains d’entre eux ont volontairement décidé de le suivre. L’ex-employeur a donc poursuivi monsieur Sahlaoui pour manquement à son obligation de loyauté conformément à l’article 2088 du Code civil du Québec (C.c.Q.), réclamant des dommages pour le préjudice qu’il lui a ainsi causé.

La décision

En première instance, la Cour supérieure avait donné raison à l’ex-employeur, estimant que monsieur Sahlaoui avait violé son obligation de loyauté, contractuelle et postcontractuelle, prescrite à l’article 2088 C.C.Q. Monsieur Sahlaoui avait conséquemment été condamné au paiement d’une somme équivalant à un an de profits. Or, la Cour d’appel, sous la plume de la juge Bich, a infirmé la décision de la Cour supérieure, jugeant que monsieur Sahlaoui n’avait pas contrevenu à son obligation de loyauté.

Analyse

Dans sa décision, la Cour d’appel affirme que le fait pour un salarié de se préparer à démissionner en planifiant sa sortie, y compris en projetant de travailler pour un concurrent ou en se préparant à concurrencer lui-même son employeur, ne pouvait être considéré comme une manifestation de déloyauté en application des dispositions du Code civil du Québec. Ce faisant, la Cour d’appel confirme qu’un salarié demeure libre de quitter son emploi à tout moment, ce qui implique forcément la liberté de s’y préparer (et ce, même à l’insu de l’employeur), sans qu’on puisse voir en cela un manquement au devoir de loyauté.

La Cour d’appel rappelle néanmoins que l’employé qui cherche à quitter son emploi ne peut pas le faire sur son temps de travail ou en usant des outils que l’employeur met à sa disposition dans le cadre de son emploi. De même, il ne peut pas profiter de la situation pour détourner l’information confidentielle de l’employeur ou les dossiers sur lesquels il travaille, cacher des occasions d’affaires, s’approprier les listes de clients ou les biens de son employeur, recruter avant même de quitter les clients de celui-ci à son bénéfice ou celui d’autrui, dénigrer activement l’employeur auprès de ses collègues ou de la clientèle, ou adopter tout autre comportement similaire.

Or, tant que l’employé, pendant cette période de préparatifs, s’abstient de se livrer à de pareils actes et continue d’exécuter ses tâches avec diligence, compétence et honnêteté, tout en faisant primer les intérêts de son employeur, la Cour soutient qu’on ne peut pas lui reprocher de faire preuve de déloyauté.

La Cour d’appel rappelle également que l’obligation de loyauté qui découle du contrat de travail survit pendant un certain temps à la rupture du lien d’emploi. Cela étant dit, la Cour précise que cette obligation de loyauté postcontractuelle n’exige pas de la part de l’ex-employé une absence totale de concurrence. En effet, en l’absence d’une clause de non-concurrence, l’ex-employé peut disposer à sa guise de l’expertise, des connaissances et des qualités qu’il a acquises ou développées chez son ex-employeur, y compris en faisant concurrence à celui-ci et en sollicitant sa clientèle. L’obligation de loyauté postcontractuelle n’interdit pas la concurrence : elle prescrit seulement que cette concurrence ne soit pas menée trop vigoureusement, pour un certain temps.

Conclusion

À la lumière de cette décision, il faut retenir que la seule obligation de loyauté prévue dans le Code civil du Québec ou au contrat de travail n’empêche pas un employé de préparer sa démission ni de faire concurrence à l’employeur une fois qu’il a quitté son emploi. Bien entendu, l’intensité de l’obligation de loyauté peut varier en fonction de divers facteurs notamment de la nature des tâches et du niveau hiérarchique de l’employé ainsi que des circonstances de son départ. En effet, chaque cas est un cas d’espèce.

Cette décision confirme également que la manière la plus sûre d’empêcher un employé de concurrencer son ancien employeur est de lui faire signer une clause de non-concurrence et de non-sollicitation. De telles clauses viendront s’ajouter à l’obligation de droit commun en matière de loyauté et permettront de limiter les occasions de concurrence auxquelles pourrait s’adonner un employé après la rupture de son lien d’emploi.

Nous vous invitons donc à consulter notre équipe de droit du travail afin de prévoir à vos contrats de travail des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation qui vous permettront de limiter et contrôler légalement la concurrence à laquelle pourraient s’adonner vos employés.

 

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